Figure 1. Accentuation du relief des lignes longitudinales de la tablette.
R. BARAN Nail Disease Centre , Cannes
Les microtraumatismes répétés, par inadéquation orteils-chaussant, sont générateurs de douleurs. Les troubles mécaniques qui vont de pair avec un affaissement progressif de la voûte plantaire et une diminution de l’élasticité des ligaments jouent un rôle prépondérant avec l’athérosclérose dans l’apparition d’un dysfonctionnement de l’appareil unguéal. Ces troubles comportent une modification de l’état physiologique normal, une tendance à l’hyperkératose des structures de la région, un risque d’incarnation, une certaine fréquence des infections microbactériennes, enfin une propension à l’apparition de certaines tumeurs.
Certaines onychopathies se rencontrent volontiers chez le sujet âgé, d’autres, déjà existantes, s’aggravent avec l’âge (1-3). Les microtraumatismes répétés par inadéquation orteils-chaussant et les troubles biomécaniques(4) (orteil en marteau, hallux rigidus, hallux valgus, chevauchement des orteils, rotation externe du 5e orteil) vont de pair avec un affaissement progressif de la plante et une diminution de l’élasticité des ligaments. L’insuffisance artérielle joue également son rôle dans le concert des altérations unguéales. L’athérosclérose a une part prépondérante dans l’apparition de certains troubles, même en l’absence d’oblitération vasculaire manifeste (5). On constate des modifications importantes du tissu élastique du derme du lit unguéal et une augmentation de la taille des cornéocytes. Contrairement à ce que l’on observe chez l’adulte jeune, on note une inégalité et une irrégularité dans le renouvellement des cellules matricielles. Ces variations sont probablement responsables de l’accentuation du relief des lignes longitudinales. La présence de volutes cellulaires, surtout dans les couches supérieures de la matrice proximale, correspondrait aux « corps pectinés » de la tablette, témoins de restes cellulaires au noyau aplati, entouré d’un matériel éosinophile. Ces formations parfois observées dans l’ongle normal sont plus fréquentes dans l’ongle sénile.
• On peut dire que la croissance de l’ongle est inversement proportionnelle à celle de l’âge(6), mais cela ne retentit en rien sur l’épaisseur de la tablette. On a avancé que la croissance unguéale se poursuivait après le décès, en fait, les mitoses commencées avant la mort vont simplement jusqu’à leur achèvement.
• L’accentuation du relief des lignes longitudinales des tablettes unguéales des mains se rencontre avec une certaine fréquence, même en l’absence d’arthrite rhumatoïde (figure 1).
• Les modifications du rayon de courbure sont très fréquentes, surtout aux orteils avec une prédilection pour le gros orteil. Normalement, nous avons un ongle dont la face dorsale est légèrement arquée en vue frontale avec des bords latéraux parallèles. La pathologie de courbure comporte l’un de ces deux aspects ou les deux. On découvre à des degrés divers l’ongle plicaturé, l’ongle en volute, en éventail et en tuile de Provence.
• S’il existe une tendance à la platonychie, voire à la koïlonychie aux doigts, l’hippocratisme un guéal n’est pas exceptionnel, en particulier chez le bronchiteux chronique.
• La fragilité des ongles des mains, fins, secs, cassants avec fissure distale, s’oppose à la rigidité des ongles des pieds, plus épais et plus durs. La couleur est souvent terne, opaque, grisâtre et la lunule absente. Cette coloration est parfois confondue avec une leuconychie apparente par modification des tissus sous-unguéaux. L’aspect d’ongle équisegmenté, blanchâtre dans sa moitié proximale et rose dans sa portion distale, s’observe également en dehors de toute insuffisance rénale, comme on l’avait pensé.
L’hyperkératose de la région unguéale s’explique par une ou plusieurs des 3 raisons suivantes :
– une démarche anormale ;
– des chaussures inadaptées, mais « dans le vent », comme en témoigne la grande fréquence des lésions d’hyperkératose chez les femmes de plus de 65 ans ;
– des déformations ostéoarthritiques aggravées par l’insuffisance artérielle. L’hyperkératose peut intéresser l’ongle lui-même, de façon harmonieuse : c’est l’onychauxis ou pachyonychie.
L’ongle apparaît parfois comme stratifié. L’hyperkératose sous-unguéale des orteils est faite d’une production dure ou friable dont la désintégration progressive est responsable de l’onycholyse. Au gros orteil, l’onycholyse de la région externe, parfois discrètement hémorragique, résulte souvent d’un chevauchement même léger du deuxième orteil sur le gros orteil par compression latérale dans la chaussure.
Figure 2. a. Cor sous-unguéal avant exposition. b. Après découpage de la tablette.
Sous l’influence des facteurs biomécaniques, les tissus souset périunguéaux peuvent également être responsables de phénomènes hyperkératosiques douloureux (cor sous-unguéal [figure 2], onychophose sur les replis latéraux ou les gouttières latérales, pulpe distale des orteils en marteau [figure 3]).
Figure 3. Orteil en marteau.
Au cours de l’insuffisance artérielle, les ongles et souvent les tissus environnants participent ensemble à cette tendance à l’hyperkératose qui se limite, habituellement, au bord interne de la phalange distale du gros orteil lorsqu’il est dévié par l’hallux valgus. L’onychogryphose ou onychogrypose (figure 4) définit un ongle long, contourné en corne de bélier, déformant habituellement le gros orteil.
Figure 4. Onychogrypose.
Cette dystrophie traduit à la fois une hyperplasie du lit et un épaississement de la tablette qui devient brunâtre, opaque, barrée de stries transversales. Il semble qu’on puisse attribuer la déformation onychogryphotique à une croissance inégale des régions matricielles. Rien n’est plus étonnant que le comportement de certains sujets âgés qui assistent impassibles à la croissance progressive de leurs ongles en tire-bouchon qu’ils protègent en découpant l’extrémité du toit de leur chaussure…
Nous avons vu que l’hypercourbure transversale des gros orteils se traduit parfois par un ongle en tuile de Provence caractérisé par un parallélisme rigoureux de ses bords. Mais il arrive que cette hypercourbure détermine un ongle en volute, en pince ou en cornet. L’hypercourbure transversale augmente progressivement vers la partie distale où les bords latéraux enserrent les tissus mous qu’ils pincent sans rompre nécessairement l’épiderme du lit. C’est en agissant comme des leviers que les bords latéraux maintiennent une striction permanente sur la lame qu’ils déforment. Les phénomènes hyperalgiques ne sont pas rares. La physiopathologie de l’ongle en pince acquis s’explique par l’élargissement de la base de la phalange distale. L’hypertrophie du bourrelet latéral, due à une compression chronique, peut s’accompagner d’une plicature unguéale latérale, susceptible de léser la gouttière homologue et de provoquer des signes fonctionnels. À côté de cette forme d’incarnation, les ongles du sujet âgé réagissent, comme ceux de l’adulte jeune, à la taille incorrecte des ongles. Le problème est aggravé dans la mesure où les patients ont la vue basse, l’articulation raide, le geste malhabile et une neuropathie atténuant la sensibilité du pied. La pression exercée par des chaussures inadéquates, compliquée d’une insuffisance artérielle latente (avec diabète [figure 5] ou sans), pose un problème sérieux par suite de l’inadaptation du flux circulatoire à une demande accrue(9). Les conséquences infectieuses et le risque de gangrène sont réels, en particulier par compression distale des tissus sous-unguéaux par l’intermédiaire d’un ongle anormalement épais.
Figure 5. Gangrène de deux orteils chez un diabétique.
Comme chez l’adulte jeune, on retrouve les trois grands groupes de champignons : dermatophytes, levures et moisissures(10) et, avec une certaine fréquence, l’infection à Pseudomonas. Environ 32 % des patients de 60 à 70 ans sont atteints d’onychomycose ; ce pourcentage s’élève à 48 % à partir de 70 ans. Les candidoses sont plus communes aux mains qu’aux pieds, leur fréquence tient du caractère invétéré des paronychies chroniques, en particulier chez la femme. L’insuffisance circulatoire, plus ou moins marquée, des extrémités explique leur pérennité, malgré la disparition du Candida par un traitement bien conduit. Aux pieds on constate que la forte proportion de dermatophytes chez l’adulte jeune, avec en tête Trichophyton rubrum, fléchit de façon importante après soixante ans au profit des moisissures. Les champignons saprophytes n’attaquent jamais une kératine normale, on conçoit donc toute l’importance des facteurs biomécaniques, traumatiques et vasculaires dans leur apparition. Récemment, on a insisté sur la prévalence de Candida ciferii dans les ongles de sujets âgés souffrant de troubles trophiques(11).
Parmi les tumeurs bénignes, le pseudo-kyste mucoïde (figure 6) est souvent associé à une ostéoarthrite des phalanges distales.
Figure 6. a. Pseudo-kyste mucoïde. b. Même doigt après traitement (sclérose).
Les verrues (figure 7) ne sont pas exceptionnelles. Dans les tumeurs malignes, nous avons pu vérifier la fréquence de la maladie de Bowen (figure 8) et de l’épithélioma spinocellulaire.
Figure 7. Verrues multiples.
Figure 8. Maladie de Bowen polydactylique.
Toutefois, ces cancers sont peu évolutifs et ne se compliquent pas souvent de métastases dans les conditions habituelles. En revanche, ils sont souvent polydactyliques. Le mélanome (figure 9) est particulièrement fréquent après la soixantaine, en particulier aux trois premiers doigts et aux gros orteils.
Figure 9. Mélanome du gros orteil.
Le traitement est sans effet sur l’accentuation du relief des lignes longitudinales ; de plus, le ponçage risque de fragiliser la tab lette. Le concours d’un pédicure-podologue permet de limiter l’importance de l’hypercourbure transversale de la tablette en plaçant une orthèse dans les formes peu avancées. Les hyperplasies un guéales bénéficieront d’une abrasion répétée à intervalles réguliers à l’aide d’un appareil rotatif et plus spécialement d’une turbine (350 000 T/minute). L’arrivée d’eau sur les pièces à main permet de refroidir la tête des fraises ainsi que les tissus immédiatement à leur contact. Elle évite de disperser les productions kératosiques en les humidifiant. Les indications d’un traitement antimycosique doivent être soigneusement pesées chez des malades polymédicamentés. Si un tel traitement est décidé, il devra être court avec les antifongiques systémiques et locaux modernes. Le fluconazole, à raison de 150 mg-300 mg en une prise par semaine pourrait être un traitement séduisant. Les mycoses doivent être traitées différemment aux mains qu’aux pieds. Une double paire de gants (coton et plastique) sera le meilleur garant de la protection des ongles d’une maîtresse de maison. Les antifongiques locaux actuels ont une activité anticandidosique remarquable. Aux pieds, le traitement varie selon la nature du champignon. Alors que les dermatophytes réagissent favorablement à la terbinafine (à éviter chez les patients soumis aux anticoagulants ou à la digoxine par ex.), les saprophytes sont moins sensibles aux antifongiques oraux. C’est dire tout l’intérêt de l’association uréebifonazole pour réaliser une avulsion chimique chez les sujets âgés. Mais là encore, la turbine nous paraît l’instrument complémentaire indispensable, sans douleur, ni brûlures, lorsqu’elle est associée à un traitement antifongique systémique et aux dispositifs transunguéaux antifongiques (ciclopirox à 8 % dont il existe une forme hydrosoluble et amorolfine à 5 %, également utilisés à titre préventif après guérison)(13). La fragilité unguéale des mains exige le port d’ongles courts. L’application de topiques facilitant l’hydratation de la tablette peut être bénéfique.
Sur l’ongle, on utilise une fraise cylindrique longue pour pièce à main droite ou des fraises court es contre-angle dont il existe deux grands types : à fissure et à boules. Ces fraises procéderont au traitement de la pathologie tissulaire hyperkératosique par énucléation des kératomes par exc ision totale à l’aide d’une fraise tronconique diamantée de découpage, s’effectuant en suivant l’extrême limite du derme. Une énucléation par abrasions punctiformes par touches lé gères et progressives du plan superficiel sera réalisée à l’aide d’une fraise de gros diamètre (1,8 ou 2 mm) avec diminution du diamètre à mesure que s’effectue l’élimination des no yaux kératosiques jusqu’à la limite dermique.
Il utilise une fraise à fissure en carbure de tungstène.
Elle nettoie le lit unguéal. Elle exige des fraises à boule diamantée de différents diamètres.
C’est la technique conservatrice la mieux adaptée au traitement des ongles incarnés avec hypercourbure transversale. Elle permet de modifier la courbure à la demande. Une correction de 12 mois, au minimum, semble la règle. En réalité, elle doit être maintenue pendant une durée égale à celle nécessaire à la correction. Le dispositif unguéal est changé régulièrement jusqu’à l’obtention d’une courbure indolore.
Il existe 3 principales techniques :
– les agrafes à fil d’acier (contreindiquées par les crochets en cas de diabète ou d’artérite) ;
– les lamelles en stratifié (fibre de verre ou résine époxy) ;
– les agrafes à plots et à fil de titane.
L’onychoplastie à type de prothèse unguéale acrylique n’est autre que la réalisation d’une plaque unguéale artificielle. L’utilisation d’un gel prosthétique permet de hâter la polymérisation grâce à une boîte UV.
Elles sont d’une aide appréciable dans toutes les variétés d’hyperkératose réactionnelle ou d’onycholyse de pression, induite par le chevauchement des orteils dans la chaussure. En effet, les orthoplasties réduisent les troubles biomécaniques, responsables de l’anomalie. La correction des phénomènes statiques de l’avant-pied est indispensable pour prévenir les récidives.
En conclusion, la pathologie de l’ongle du sujet âgé se rencontre dans une large couche de la population. Elle se répercute sur la santé et le bien-être de cette population en voie de croissance. Médecins et pédicures-podologues ont un rôle important à jouer dans le dépistage des affections de cette pathologie. L’impact clinique, en cas de mauvaise santé des pieds, en particulier, est bien documenté, surtout en ce qui concerne le diabète, mais également dans le cadre de l’insuffisance rénale, la polyarthrite rhumatoïde, le risque de chute et le vieillissement chronologique(14).
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Copyright © Len medical, Dermatologie pratique, novembre 2013